Les putes voilées n’iront jamais au paradis 2016
Chahdortt Djavann
Présentation de l’éditeur :
Ce roman vrai, puissant à couper le souffle, fait alterner le destin parallèle de deux gamines extraordinairement belles, séparées à l’âge de douze ans, et les témoignages d’outre-tombe de prostituées assassinées, pendues, lapidées en Iran.
Leurs voix authentiques, parfois crues et teintées d’humour noir, surprennent, choquent, bousculent préjugés et émotions, boulever-sent. Ces femmes sont si vivantes qu’elles resteront à jamais dans notre mémoire.
À travers ce voyage au bout de l’enfer des mollahs, on comprend le non-dit de la folie islamiste : la haine de la chair, du corps féminin et du plaisir. L’obsession mâle de la sexualité et la tartufferie de ceux qui célèbrent la mort en criant « Allah Akbar ! » pour mieux lui imputer leurs crimes.
Ici, la frontière entre la réalité et la fiction est aussi fine qu’un cheveu de femme.
Oui, oui, vous me direz, je fais une légère fixette sur l’Iran ces derniers temps. Il faut dire qu’avec un titre pareil, comment vouliez-vous que je résiste ?! A l’heure où les relations avec l’Iran se normalisent – puisque Daesh est à présent un ennemi commun – Les putes voilées n’iront pas au paradis nous rappelle l’état de la condition féminine en Iran, et ce n’est tout de même pas bien brillant.
Chahdortt Djavann dénonce cette malédiction de naître femme dans son pays d’origine. Pour cela, elle mélange différentes approches et n’hésite pas à rompre au besoin le pacte romanesque pour interpeler le lecteur : Si la fiction est bien le fil rouge de l’histoire, avec ces deux gamines qui grandissent en parallèle et pour lesquelles la prostitution sera la seule issue, on appréciera également les témoignages d’outre-tombe de ces prostitués assassinées qui prennent la tournure d’un documentaire fictionnel. Ce qui m’a particulièrement surprise, c’est ce chapitre, intitulé « Fiction ou pas fiction ? » qui intervient en plein milieu du roman : l’essai rejoint alors le roman et nous rappelle que cette histoire n’est pas qu’une sordide entreprise, mais qu’elle est bel et bien issue d’un fait divers.
La lecture du roman peut être parfois dérangeante : la langue est certes très littéraire, mais elle est également – et légitimement – terriblement crue. Chahdortt Djavann ne prend pas de précautions et nous confronte avec la réalité brute, nous forçant à ouvrir les yeux sur la situation absurde et injuste de ces femmes, sur leur vie de misère et la douleur profonde qui accompagne leurs existences.
Ce que j’ai préféré ? Ce sont ces femmes décédées qui témoignent de la violence du monde, qui racontent ce qui les a amenées à la prostitution. Ces témoignages sont extrêmement riches, vivants et émouvants : on les croirait réels. Ils n’ont pas ce côté argumentatif qui pourrait détruire toute émotion, ou du moins pas directement : ils s’attachent bien davantage à retracer avec tendresse le destin de celles qui ont eu le malheur de naître femmes.
Extrait :
« Dieu est partout. Sans limites. Dieu est immense. Infini. Dieu est partout dans la plus infime des choses. Dieu est partout, dans chaque centimètre de notre planète Terre et partout dans le ciel et dans l’univers… », nous répétaient des femmes voilées, des bigotes qui venaient dans les écoles pour faire entrer Dieu une fois pour toutes dans notre crâne, dans notre âme, apparemment dans notre corps aussi. Et elles ont bien réussi ! « Dieu est partout. Il est dans chaque parcelle de votre corps, dans les lieux les plus intimes de votre corps. La sourate Qaf 50, verset 16 nous dit : Dieu vous a créées et Dieu sait parfaitement ce qui se passe dans votre âme parce que Dieu est plus près de vous que votre veine jugulaire », criait la voix aiguë et grinçante de la bigote voilée. Un « Ah bon ! » imprudent sortit de ma bouche, la première fois que cette phrase révolutionnaire parvint à mes oreilles distraites. « Quoi ?, hurla la voilée. Qu’est-ce que vous avez dit ? – Rien. » Elle reprit sa logorrhée : « Dieu est dans chaque parcelle de votre corps et sait exactement ce qui s’y passe. Dieu est plus près de vous que votre veine jugulaire. » Sans blague !
On aurait dit que Dieu, patron de la NSA, avait implanté des émetteurs numériques ultra-sophistiqués dans le cou de chaque être humain pour mieux surveiller ses faits et gestes et la moindre de ses pensées. Sacré Dieu !
Je ne sais pas pour mes camarades, mais à douze ans, à l’âge où je venais d’avoir mes premières règles, ma veine jugulaire m’intéressait beaucoup moins que ce qui était entre mes cuisses. Et si Dieu m’était plus proche que ma veine jugulaire, dans mon cou, sous ma peau, à l’intérieur de mon corps – je continuais mon raisonnement d’adolescente naïve, fantaisiste, un brin insolente et très curieuse -, si Dieu est partout, s’il est dans chaque parcelle de mon corps, serait-il aussi là où ça chatouille certaines nuits, presque toutes les nuits ? Puisqu’il est absolument partout. Il est aussi dans ce trou si chaud et humide où j’enfonce souvent mon doigt – avec précaution pour ne pas déchirer la fameuse vertu placée juste à cet endroit si doux et merveilleux. Serait-il possible que ce soit Dieu qui me donne des frissons ? » (…)
Leili
Naissance : 10 avril 1983 à Mashhad.
Assassinée le 19 avril 2014 à Mashhad.
Elle a été étranglée avec son tchador. »