J’ai lu… Valérie Zenatti

Jacob, Jacob 2014                                                                           

Valérie Zenatti

Présentation de l’éditeur :

« Le goût du citron glacé envahit le palais de Jacob, affole la mémoire nichée dans ses papilles, il s’interroge encore, comment les autres font-ils pour dormir. Lui n’y arrive pas, malgré l’entraînement qui fait exploser sa poitrine trop pleine d’un air brûlant qu’elle ne parvient pas à réguler, déchire ses muscles raides, rétifs à la perspective de se tendre encore et se tendant quand même. »

Jacob, un jeune Juif de Constantine, est enrôlé en juin 1944 pour libérer la France. De sa guerre, les siens ignorent tout. Ces gens très modestes, pauvres et frustes, attendent avec impatience le retour de celui qui est leur fierté, un valeureux. Ils ignorent aussi que l’accélération de l’Histoire ne va pas tarder à entraîner leur propre déracinement.

L’écriture lumineuse de Valérie Zenatti, sa vitalité, son empathie pour ses personnages, donnent à ce roman une densité et une force particulières.

 


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Jacob… Jacob, c’est ce prénom martelé par le héros pour ne pas sombrer dans l’oubli, pour ne pas être qu’un matricule. Jacob, c’est aussi le premier fils de Rachel, mort à trois ans, et dont on a donné le prénom à ce nouveau Jacob. Un prénom qui portera deux deuils. Jacob, c’est aussi les deux Jacob qui se découvrent l’un l’autre à l’instant où ils sont appelés à disparaître, dépassés par la guerre : l’enfant et l’amant. Le lettré et le soldat. Le juif et le français.

Derrière l’amour de l’école du jeune Jacob, on sent celui de Valérie Zenatti pour la littérature française dans laquelle elle a trouvé une identité. Cette question est d’ailleurs centrale dans le roman, où Jacob, après avoir été renvoyé de son lycée à cause de sa judéité, est finalement jugé assez digne d’être français pour prendre part à la guerre, une guerre qui le laissera mourir en France, son pays ? Bien loin en tout cas de l’Algérie et de sa Constantine natale.

Jacob, Jacob raconte le quotidien de l’inquiétude, la peur qui ronge le ventre, les bourdonnements de la guerre et les errances des personnages, leur déracinement, leur exil. A travers le regard de ce personnage qui découvre la vie en même temps qu’il la perd, le lecteur se réapproprie les interrogations de l’adolescence, de l’adulte en devenir : le désir, l’amour, l’espoir d’une vie nouvelle, la violence de cette existence imposée, où l’enfant est contraint de devenir adulte, où la poésie ne résiste pas à tout, où elle n’a pas sa place dans la guerre. Valérie Zenatti nous raconte surtout l’histoire de deux égarés, Jacob et Madeleine, qui se trouvent confronté à un monde qui aurait dû leur être épargné.

Le récit passe de main en main, ou plutôt, d’esprit en esprit, comme si l’on virevoltait d’un personnage à l’autre, donnant ainsi une vision totale des événements et des sentiments, des odeurs et des ambiances, dans une authenticité émouvante : on y est, on vit et on respire cette atmosphère. En ce sens, le roman est particulièrement visuel et son écriture presque cinématographique. Malgré tout, Valérie Zenatti ne quitte pas une innocence un peu désuète, qui lui permet de garder un ton toujours juste et une douce odeur de souvenir. 

En lisant un peu la presse, on apprend que Jacob est le grand-oncle de l’autrice, et que les bribes qui lui parviennent lui viennent de sa grand-mère, Madeleine. On comprend alors mieux la tendresse évidente de l’autrice pour ces deux personnages. C’est tout naturellement que je partage cette tendresse pour ces personnages qui auraient pu être mes grands-parents, pour ma grand-mère, qui s’appelait aussi Madeleine, et mon grand-père, qui comme Jacob, s’est lui aussi retrouvé au coeur de cette guerre, mais qui a eu la chance d’en revenir.

Extrait :

« A l’étage, Madeleine s’affaire, aidée des petites, elle débarrasse la table qu’ils pousseront bientôt pour dérouler les matelas des filles, celui de Jacob et celui qu’elle partage avec Abraham. Les hommes fument en sirotant l’alcool de prune dans des verres minuscules, Camille est fascinée par les reflets dansant entre le cristal et le liquide transparent, on croirait du feu dans l’eau, elle voudrait le dire à Jacob, il lui expliquerait peut-être comment c’est possible, mais la voix forte de Haïm interdit toute tentative de parole, il ouvre une bouteille de vin en plus de la prune, échange avec ses fils des propos sur l’expérience que le benjamin s’apprête à vivre. L’armée, elle transforme les poules mouillées en lions, dit-il en pressant l’épaule de Jacob dans la large main, les enfants en hommes, ajoute-t-il en ponctuant sa phrase d’une deuxième pression, on y apprend la vie, conclut Abraham, les yeux voilés de regret. Dans ces phrases, il y a l’écho de celles prononcées quand Isaac est parti faire son service, quand Alfred l’a suivi, les deux frères placés entre Abraham et Jacob en sont revenus tels qu’ils avaient toujours été, ni plus courageux ni moins menteurs, ni plus généreux ni moins vantards, un peu plus velus peut-être, la barbe plus fournie parce qu’ils avaient été obligés de se raser tous les jours.« 

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