J’ai lu… Claudio Magris

Vous comprendrez donc 2008                                         Claudio Magris

Présentation de l’éditeur :

Une femme, par-delà la mort, se confie à un mystérieux « Président ». Moderne avatar d’Eurydice, cette femme avait obtenu la permission exceptionnelle de rejoindre l’homme qu’elle aime, mais elle a décidé de ne pas l’utiliser et s’en explique. Elle a partagé avec son époux le bonheur, la plénitude, le vide et la catastrophe d’être ensemble. Depuis la pénombre de l’outre-tombe, c’est maintenant l’écho d’un amour qui remonte vers le jour, le recours au mythe d’Orphée, à la fois subtil et ironique, tenant à distance le pathos du deuil. Si ce monologue actualise l’un des récits qui ont su le mieux raconter la passion amoureuse soumise à l’épreuve de la mort, l’écriture nocturne de Claudio Magris sait y instiller des accents d’une troublante singularité tout en préservant la dimension d’universalité du mythe classique.


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Aujourd’hui, j’ai choisi de vous présenter un de mes livres préférés : tâche difficile, donc. Je l’ai découvert il y a quelques années, aux Littératures Européennes de Cognac. Claudio Magris, l’auteur, est un universitaire italien, surtout connu en France pour son Danube. L’ouvrage que je vous présente, Vous comprendrez donc, n’est pas un essai, mais un roman, assez court d’ailleurs, reprenant le beau mythe d’Orphée et Eurydice. Claudio Magris le publie à un moment clef de sa vie : à la mort de sa femme. L’auteur, comme Orphée qui descend aux enfers, la fait alors revivre sous les traits d’Eurydice, mettant ainsi en scène avec une grande justesse son propre deuil. Ce recours au mythe permet à Magris de prendre une distance nécessaire pour ne pas sombrer dans une pornographie des sentiments. Alors, bien sûr, je ne l’ai pas lu en italien, mais je peux vous assurer que la version française est très belle.  

Ma première surprise, en ouvrant le livre, a été l’absence de chapitres. Seule la présence de paragraphes permet de stopper parfois sa lecture. Mais l’on comprend vite qu’un chapitrage aurait été dénué d’intérêt : le roman se lit d’une traite – le petit format y aide. Il n’y règne pas un suspense insoutenable, mais cette lecture fait partie de celles que l’on peut difficilement interrompre, et que l’on ne souhaite d’ailleurs pas interrompre. On comprend aisément pourquoi le roman a été porté à la scène en Italie.

J’ai aimé l’écriture de Magris, assez simple finalement, mais néanmoins précise et touchante. Jamais grandiloquente, comme pouvait le laisser supposer le recours au mythe, elle est au contraire pleine d’une distance malicieuse. Surtout, ce sont ces instants volés à la vie du couple, les attitudes d’Orphée, à la fois ridicules, criantes de vérité et en même temps attendrissantes, l’amour d’Eurydice aussi, que l’on peut voir au détour d’une phrase, un de ses gestes, ses gentilles moqueries : ce sont ces petits instants anodins qui m’ont émue. Eurydice, la narratrice, est à la fois cette dryade que nous connaissons de l’antiquité, mais également tellement humaine dans son amour, parfois vacillant, mais sincère et profond, qui la lie à Orphée.  

Sans pouvoir le dévoiler, c’est enfin le dénouement que j’ai adoré : Magris s’approprie le mythe pour lui donner un sens différent, plus grand et plus beau. La légende d’Orphée devient alors celle d’Eurydice, qui fera le choix de ne pas suivre l’homme qu’elle aime.

Extrait :

Non, il n’était pas venu pour me sauver, mais pour être sauvé. Comment pourrais-je chanter mes chansons en terre étrangère? me disait-il. J’étais sa terre perdue, la sève de sa floraison, de sa vie. Il était venu pour repren­dre sa terre, d’où il avait été exilé. Et aussi pour être à nouveau protégé de ces coups féroces qui arrivent de tous côtés et que j’avais tou­jours parés pour lui, des flèches empoisonnées qui lui étaient destinées et qui au lieu de cela rencontraient ma poitrine, tendre sous sa main mais forte comme un bouclier rond pour rece­voir et arrêter ces flèches, pour intercepter et absorber leur poison avant qu’il ne parvienne jusqu’à lui. À la fin il y a eu trop de flèches, et le poison m’a vaincue, pourtant entre ses bras moi aussi j’ai été heureuse et sans peur; peu importe où arrive la flèche, sur le côté ou en plein cœur, le mien ou le tien, quand à deux on ne fait qu’un.

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