J’ai lu… Marilyn Yalom

Le sein, une histoire 1997                                                  Marilyn Yalom

Présentation d’Elisabeth Badinter :

« Quoi de plus immuable que le sein féminin ?. N’a-t-il pas toujours eu pour fonction de contenter l’homme et le bébé ? L’histoire qu’en trace Marilyn Yalom est infiniment plus complexe. Du sein divin du Moyen Âge au sein érotique d’Agnès Sorel, du sein domestique du XVIIe siècle au sein politique de Marianne, du sein commercialisé par l’industrie du soutien-gorge au sein rongé par le cancer ou torturé par le piercing du XXe siècle, le sein de la femme a appartenu successivement à l’enfant, à l’homme, au politique, au psychanalyste, au pornographe, au chirurgien esthétique, avant que les féministes n’en reprennent le contrôle à la fin du siècle dernier. Quelle femme aujourd’hui peut se jouer tout à la fois de la mode, de la séduction et de sa santé ? Histoire à suivre pour mieux comprendre le monde dans lequel on vit… »


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Ayant presque fini mon pavé de la semaine dernière, je vous le présente enfin ! Marilyn Yalom, l’autrice, est non seulement universitaire, mais également féministe. Cela joue bien sûr un rôle important dans sa présentation et dans ses explications : l’historique du sein qu’elle retrace est extrêmement bien documenté et surtout bien organisé. On ne se sent malgré tout jamais perdu, noyé dans un jargon universitaire qui nous serait étranger. Par ailleurs, Marilyn Yalom s’éloigne également d’un travail universitaire froid et sans identité, dans la mesure où elle n’hésite pas à prendre parti et donner son avis. Même s’il s’agit avant tout d’un travail de recherche extrêmement factuel et relativement objectif, elle n’hésite donc pas à analyser, remettre en question et interpréter.

L’ouvrage, préfacé par Elisabeth Badinter, se compose de neuf chapitres, tous très complets : Dans les premiers, elle nous fait une présentation historique de la perception du sein, en commençant à la préhistoire. Si l’on comprend aisément que les seins furent longtemps le symbole de la fertilité de par leur fonction d’allaitement, j’ai été plus surprise d’apprendre que leur érotisation ne remonte qu’à la Renaissance en Occident, voire bien plus tard dans certains pays nordiques.

Cette structure chronologique permet néanmoins de conserver également une structure thématique, la „fonction“ du sein ayant varié selon les périodes. Ainsi, le chapitre sur le sein „politique“ montre comment l’allaitement a été encouragé par une propagande qui nous ferait hurler de rire à l’époque de la révolution française, où la mise en nourrice était extrêmement répandue, à des fins bien entendues non seulement idéologiques („les mamelles de la nation“), mais également de neutralisation de la femme, qui était ainsi consignée au foyer et ne pouvait prendre part à la vie politique.

La fin du XVIIIe siècle et le début du XIXe y sont évoqués à travers la psychologie et les théories à la fois farfelues et destructrices de Freud. L’autrice nous offre d’ailleurs un passage fort savoureux où elle reprend la thèse selon laquelle les femmes se construisent dans l’idée qu’il leur manque quelque chose : „le pénis“, ce qui expliquerait leur hystérie et leur insatisfaction chronique. Marilyn Yalom détourne cette hypothèse en montrant démontrant de manière volontairement grotesque que les hommes se construisent dans l’idée qu’il leur manque des seins, ce qui expliquerait leur obsession pour les poitrines opulentes.

Quels que soient les domaines abordés – la mode, la consommation, la médecine, l’art –, les questions soulevées par les recherches sont toujours très pertinentes et révèlent un travail extrêmement poussé. Il me reste malgré tout un regret : que l’ouvrage soit paru il y a si longtemps. Quelle serait le regard porté par Marilyn Yalom sur l’image actuelle du sein dans notre société occidentale, alors que les média occupent une place à ce point prépondérante dans nos vies ?

Extrait :

« Dorénavant, quand vous penserez aux seins des femmes, tout sera différent. Pour la plupart d’entre nous, et en particulier pour les hommes, les seins sont un ornement sexuel – les bijoux de la couronne de la féminité. Pourtant, cette vision sexualisée des seins n’est en rien universelle. Dans nombre de cultures d’Afrique et du Pacifique Sud, où les femmes vont la poitrine nue depuis des temps immémoriaux, les seins n’ont pas pris de signification essentiellement érotique, comme en Occident. Les cultures non occidentales ont leurs propres fétichismes – petits pieds en Chine, nuque au Japon, fesses en Afrique et dans les Caraïbes. Dans chaque cas, la partie du corps portant une charge sexuelle – ce que breton appelait « l’érotique voilée » – doit beaucoup des sa fascination à sa dissimulation partielle ou totale.

L’idée que nous, Occidentaux, nous faisons de la poitrine, et que nous pensons aller de soi, s’avère tout particulièrement arbitraire quand on adopte une perspective historique, qui est l’angle de ce livre […].

Une question fondamentale est sous-jacente à cette progression : À qui appartiennent les seins ? À l’enfant qui tète, dont la vie dépend du lait de sa mère ou d’un substitut affectif ? À l’homme ou à la femme qui les caresse ? À l’artiste, qui représente des formes féminines, ou à l’arbitre de la mode, qui choisit des seins petits ou gros en fonction de la demande incessante du marché pour un nouveau style ? À l’industrie de l’habillement, qui cherche à vendre un « soutien-gorge de formation » pour les pré-adolescentes, un « soutien-gorge de maintien » pour les femmes âgées et des Wonderbra pour celles qui veulent montrer un décolleté pigeonnant ?  Aux juges religieux ou moraux, qui insistent pour que la poitrine soit chastement couverte ? À la loi, qui peut ordonner l’arrestation de femmes allant torse nu ? Aux médecins, qui décident à quelle périodicité on doit procéder à une mammographie et quand il faut une biopsie ou une ablation des seins ? Au chirurgien esthétique qui restructure pour des raisons purement cosmétiques ? Au pornographe qui achète le droit d’exposer la poitrine de certaines femmes, souvent dans un  cadre avilissant et injurieux pour toutes les femmes ? Ou bien appartiennent-ils à la femme pour qui les seins sont une partie de son propre corps ? »

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