Le club des miracles relatifs 2016
Nancy Huston
Présentation de l’éditeur :
Varian est un garçon singulier, doté d’une intelligence rare et d’une mémoire sans faille. Malgré l’amour de sa famille, il s’isole dès sa petite enfance. Hypersensible, surdoué et peu viril, il est vite en danger au lycée et devient un jeune homme compulsif, impuissant, obsédé.
Quand son père, depuis toujours marin pêcheur, doit quitter le foyer pour aller chercher du travail dans l’Ouest, quand sa mère demeurée sans nouvelles perd tout sens du réel, Varian, lui, est aux prises depuis longtemps déjà avec les voix qui parasitent et colonisent son cerveau.
Et c’est dans cet état, tout à la fois vulnérable et violent, qu’il part à la recherche de son père. Diplômé, il est facilement embauché sur le site de Terrebrute, au coeur même d’une région déchiquetée par de gigantesques opérations d’extraction pétrolière.
Là, Varian fait la connaissance de deux activistes écologistes…
Le Club des miracles relatifs est l’histoire de la confrontation entre deux formes de monstruosité, l’une humaine, l’autre post-humaine.
Un livre qui explore avec force une société inimaginable, mais déjà là.
Voilà des années que l’on me parle de Nancy Huston. « Mais vraiment, tu devrais lire un de ses livres », « Franchement, c’est vraiment génial, tu verras », « Toi qui es féministe en plus ! ». Bref, on m’avait déjà bien bassinée avec elle quand son dernier livre est sorti, et j’ai fini par craquer. Sans lire la quatrième de couverture et sans prêter attention à la première, j’ai acheté Le club des miracles relatifs.
Le personnage de Varian est attachant, de par cette monstruosité fondamentalement humaine qu’il a en lui et qui s’oppose à la monstruosité sociale, politique, militaire, à la monstruosité du groupe, du plus fort, bien moins admissible.
Afin de dénoncer les exploitations pétrolières, Nancy Huston refuse d’ancrer son récit dans une réalité précise. Ce choix rend le récit plus universel, puisqu’on ne parle pas d’un lieu en particulier. Le travail autour du langage prend parfois un aspect ludique en devenant une véritable délocalisation verbale : le lecteur s’amuse à deviner quels mots de notre quotidien se cachent sous ceux employés par Varian. Pour nous permettre de rentrer dans la psyché de son personnage, Nancy Huston n’utilise pas de ponctuation pour le laisser s’exprimer, mais sépare les groupes de mots par de grands espace : le langage est à la fois ininterrompu et trébuchant.
Mais les mots ne sont pas réservés à la sphère de l’intime pour découvrir les profondeurs du protagoniste : ils servent également à dénoncer l’inversion des rôles dans cette société presque apocalyptique. Le langage est ainsi réduit à son utilisation la plus simple sur les panneaux présents sur le site pétrolier : « ALLEZ-Y », « EXIGEZ PLUS », « GRANDE FIERTÉ », « PLUS DE SUCCÈS ». Les messages sont clairs, simples, directs, pour être compris par toutes les nationalités présentes sur le site, mais aussi dénués de sens, comme s’il s’agissait de commandes d’ordinateur, montrant ainsi la perte d’humanité des ouvriers. Ceux-ci sont devenus des robots, dont la vie revêt moins d’importance que celle des machines, bien plus coûteuses et presque plus humaines.
Mais si ce travail du langage est particulièrement intéressant, le ton de la dénonciation est présent tout au long du récit et m’a personnellement gênée. Malgré de beaux passages à l’occasion, l’argumentation entraîne une perte de la poésie : les plus beaux moments ne sont pas vraiment ancrés dans le récit et interviennent comme des pauses dans cet univers trop cru. Arrivé à la moitié du livre, on voit sans aucun doute possible où Nancy Huston veut nous emmener. On aurait pu s’arrêter là.
Extrait :
Les machines sont les héros ici Varian a dit Luka Il y a soixante millions d’années le pays était habité par des dinosaures et c’est une énergie dinosaurienne qui coule dans les veines de ceux qui bossent là Grimper dans une excavatrice ou une grue c’est faire un avec elle La conduire c’est participer à une forme d’union intime plus mystérieuse que le mariage Voilà cinq ans que j’observe la chose et je n’en reviens toujours pas Pendant que la musique hard rock diffusée dans leur casque leur explose les tympans leur corpsmachine livre une guerre contre la forêt Leurs mains sont des pelles larges de sept mètres leurs jambe des pneus hauts comme un immeuble Le Déluge c’était hier La Terre vient tout juste de se refroidir Ils foncent dans le paysage déracinent les arbres les entassent comme des allumettes lancent d’énormes pierres jusqu’à perpète déchiquettent le sol à belles dents y creusent des fossés profonds et soulèvent des mollards de boue deux à quatre cents tonnes dans chaque seau de chaque excavatrice Se cabrant ils tendent le cou une vingtaine de mètres vers le haut regardent autour d’eux et voient à l’infini Bang bang-bang ! Des heures d’affilée une musique primitive leur fouette la cervelle Tout ici n’est qu’effort et solitude bruit assourdissant et oubli Ils versent leur énergie dans les machines Celles-ci la multiplient et la versent dans le travail Des femmes aussi oui Varian ça t’étonne mais des femmes aussi Vu le prix de ces excavatrices soixante-dix millions pièce on aime autant les confier à des humains à bas niveau de testostérone
Ponctuant les explications de Luka, monsieur des panneaux énormes enfonçaient leur message dans le cerveau de l’accusé
Se servant de vapeur sous extrême pression ils pulvérisent le sable pour le forcer à lâcher son bitume SUPER-ESPRIT D’ÉQUIPE SUPER-EMPLOIS A l’état naturel cette substance est aussi dure qu’un palet de hockey mais pour peu qu’on la réchauffe jusqu’à son point d’ébullition c’est-à-dire cinq cents degrés ALLEZ-Y elle se transforme en épais liquide visqueux susceptible de couler dans un pipeline EXIGEZ PLUS pour être raffiné ailleurs et devenir enfin cette noire semence sacrée qui porte le nom d’ambroisie Celle-ci pourra alors être vendue à tous les pays de la planète afin que les machines puissent se reproduire GRANDE FIERTÉ afin que voitures et camions trains et bateaux bus et avions et bombardiers puissent foncer plus vite à travers terres mers et airs PLUS DE FIERTÉ afin que les grands patrons puissent se départager la planète et fêter l’augmentation exponentielle de leur bonus annuel en achetant plus de yachts pour leurs enfants PLUS DE CROISSANCE oui afin que dans les pays froids dont les banquises fondent à vue d’oeil plus de visons puissent être massacrés et transformés en manteaux pour leurs épouses et dans les pays chauds grâce au labeur exténuant d’hommes à peau noire dans les entrailles étouffantes de la terre plus de diamants puissent êtres extraits et transformés en bijoux pour leurs maîtresses PLUS DE SUCCÈS
Merci de cet avis très atypique (c’est la première fois que je lis que ce roman est idéologue!). Pour ma part je suis beaucoup plus enthousiaste après la lecture de ce roman ! Ma recension ici https://femmesdelettres.wordpress.com/2016/07/23/nancy-huston-le-club-des-miracles-relatifs-avril-2016/
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